
En quelques mots.
Comprendre qu’une invention n’est pas constituée d’un début et d’une fin, revient à libérer les “inventeurs” du poids de la réussite.
L’échec serait à la base de l’innovation. Plus facile à dire qu’à vivre! Alors que le GLab continue de faire grandir son équipe, ses membres ont récemment dû prendre une décision difficile : annoncer l’arrêt de l’un de leurs produits. Concrètement, pourquoi décider de mettre fin à une technologie pourtant utile et innovante? Éric Routhier, cofondateur du GLab, nous parle des raisons qui l’ont poussé à officialiser l’arrêt du produit Lighthouse. Surtout, il nous explique comment l’échec fait partie intégrante de la culture de GSoft, et comment l’appréhender pour en dégager des apprentissages concrets.
Innover ou l’art d’échouer
Paul Virilio, urbaniste et essayiste français qui écrivait sur la technologie et son incidence sur les humains, dira ainsi que l’invention de chaque technologie revient également à inventer sa mise en échec. Car dans un contexte d’accélération permanente des connaissances, des découvertes et des besoins, une technologie devient vite désuète. Peut-on ainsi vraiment parler d’échec lorsqu’une technologie ne répond pas à la demande actuelle du marché?
Comprendre qu’une invention n’est pas constituée d’un début et d’une fin, revient à libérer les “inventeurs” du poids de la réussite. Les organisations ont besoin de visionnaires pour se réinventer, et donc d’employés qui prennent des risques. Mais ces derniers n’en prendront pas sans une culture d’entreprise portée vers l’échec. Avec le GLab, GSoft met en place un laboratoire d’innovation où échouer fait partie du quotidien. On dira même que si vous réussissez chaque fois, c’est que vous n’avez pas assez essayé! Pourtant, quand vient concrètement le temps de faire face à l’échec, force est d’avouer que certaines émotions font surface.
Comprendre qu’une invention n’est pas constituée d’un début et d’une fin, revient à libérer les “inventeurs” du poids de la réussite.
Une fausse occasion
« Avec la création de Lighthouse, on voulait aider les entreprises à mieux contrôler la propagation de sujets sensibles ou confidentiels qui pouvaient être partagés sur Slack », explique Éric. Slack est cette messagerie dédiée aux entreprises, qui permet aux employés de communiquer entre eux, soit par le biais de “chaînes” de discussions, soit en privé. Cette fonctionnalité était particulièrement utile pour les services des TI et du soutien, qui perdaient parfois le contrôle des chaînes de discussions internes. Par exemple, dès qu’un numéro de carte de crédit était partagé, l’équipe de soutien recevait une notification grâce à Lighthouse. Rapidement, le produit est développé et les premières ventes encouragent l’équipe à poursuivre leurs efforts d’amélioration. Cependant, la quantité de nouveaux abonnés plafonne rapidement, conséquence directe du nombre trop faible d’utilisateurs sur le Slack App Directory, la plateforme dédiée aux applications Slack. « Notre erreur a été de miser sur un seul canal de distribution », confie Éric. Les ventes se faisant rares, la génération de revenus tardait aussi. Cependant, le peu d’utilisateurs actifs du produit occupait tout de même beaucoup l’équipe, qui devait rester à la disposition des clients en tout temps.
Les membres du GLab ont donc continué à mettre des efforts sur Lighthouse pendant trois ans, jusqu’à ce qu’il faille se rendre à l’évidence : l’investissement humain n’en valait plus la peine. D’autres projets plus prometteurs commençaient à s’imposer, le temps était venu de dire adieu au produit.
Vers une progression continue
« Un sentiment de frustration a pris le dessus au départ », nous avoue Éric. « C’est comme si on n’avait pas réussi à trouver comment mettre à profit cette idée. On reste un peu sur notre faim! » Car pour la première fois, GSoft décide d’arrêter un produit qui générait pourtant des ventes. Lorsqu’on lui demande ce qu’il retient de tout ce processus d’acceptation, il évoque la peur de renoncer à une idée trop vite la prochaine fois. « Il est difficile de déterminer le point de non-retour et de savoir détecter quand ça ne vaut plus la peine de mettre des efforts dans un projet. Encore plus lorsqu’on travaille avec des passionnés! ».
Roy Wagner, dans son ouvrage L’invention de la culture, évoque le fait d’échouer en science, en affirmant que chaque échec motive un plus grand effort collectif ensuite. Illustrant ainsi comment, au fil des siècles, la science n’a cessé de progresser à travers des remises en question et des cas manqués. De la même manière, GSoft grandit à travers ses échecs. L’échec de Lighthouse n’était pas le premier, et ne sera pas le dernier. « Les apprentissages sont énormes. Autant sur le plan individuel qu’au niveau de l’organisation », dit Éric. Ça permet de remettre les choses en perspective, et de ne jamais se reposer sur ses lauriers. Le succès commercial d’un produit n’est donc pas le seul paramètre à prendre en considération.
D’ailleurs, l’équipe envisage d’éventuellement ralentir ses efforts sur une autre innovation récente du GLab. Mais là encore, GSoft voit ça comme une progression. Ce produit n’est peut-être pas un succès commercial, mais il est la première solution technologique de GSoft utilisant l’intelligence artificielle. « Ça nous aura permis de mettre en place une équipe dédiée à l’intelligence artificielle (IA), et de développer une stratégie IA plus mature à travers l’entreprise! », nous confie-t-il.
Intégrer l’échec à la culture d’entreprise
Cependant, accepter l’échec ne signifie pas l’encourager à tout prix. Il s’agit de mettre en place des processus concrets de communication structurée en équipe, afin d’identifier en amont les risques et de revenir sur les défaites. Apprendre à recevoir des commentaires, positifs et négatifs, est aussi essentiel, autant pour les employés que pour les gestionnaires. Il faut être en mesure de demander “comment est-ce que ça aurait pu mieux se passer?” à ses collaborateurs, et être prêt à entendre les réponses. Au final, il s’agit de grandir au travers d’étapes parfois douloureuses. Mais si toute l’entreprise avance dans le même sens, les apprentissages des uns deviennent des éléments de croissance pour tous.